Pourquoi notre sexualité nous fait-elle honte?
À travers les âges, la sexualité est restée plus ou moins associée au fruit défendu, chargée de tabou et d'émotions négatives, rendant l'expression unique de notre sexualité indicible.
La honte sexuelle, qu'est-ce que c'est?
La honte sexuelle relève d'une souffrance mentale générée par l'embarras causé par le dégoût de soi, son corps, ses désirs, le sentiment de ne pas être physiquement acceptable, tout comme la peur d'être jugé par l'autre.
Finalement, la culpabilité sexuelle, c'est la peur de ne pas être normal. Elle nous pousse à vouloir rentrer dans la norme pour se sentir accepté et acceptable. Trop ceci, pas assez cela: on s'en veut d'avoir tel désir, de n'avoir jamais fait telle chose, ou du nombre de nos partenaires sexuels. Comme pour toute chose, la société a façonné un modèle d'une sexualité "normale" entraînant des conséquences ravageuses sur tout un chacun.
Il y a la honte de mal faire.
La honte de trop aimer le sexe.
La honte du nombre de ses partenaires sexuels.
La honte de ne pas avoir d'orgasme.
La honte de l'apparence de ses parties génitales.
La honte de ses dysfonctions sexuelles.
La honte de ne pas satisfaire l'autre.
La honte de parler de ses fantasmes.
La honte du manque de désir.
La honte d'être excité par le "weird".
Et plus encore.
Tabous & sexualité des femmes
Quels sont les tabous peuplant encore la sexualité féminine? En voici quelques exemples.
Sexualité dite "normale" vs. dysfonctions sexuelles
La plupart des couples s'inquiètent à un moment donné de leur vie de la fréquence de leurs rapports. Il faut dire que l'image que véhicule la société, les médias et la rumeur concernant l'activité sexuelle comme baromètre de l'état de santé de notre intimité n'aide en rien. Cela est lié à la croyance générale que plus un couple fait l'amour, plus il est heureux!
Une étude australienne parue dans Fertility and Sterility réalisée en 2020 sur 2 000 participantes annonce qu'une femme sur deux éprouve du stress, de la culpabilité ou du mal-être vis-à-vis de sa vie sexuelle, et une sur cinq a déjà fait l'expérience de troubles sexuels, dont une baisse de libido, des douleurs pelviennes pendant un rapport et une difficulté à atteindre l'orgasme.
Émancipées, une plateforme visant à redonner aux femmes le pouvoir sur leur cycle menstruel, a réalisé un sondage sur 3 685 participantes âgées de 18 à 50 ans afin d'en savoir plus sur leur désir, mais aussi la perception qu'elles en ont.
Cela a révélé que 61,5% de ces femmes sont insatisfaites de leur libido, tandis que 41% en ont carrément honte. La raison? Leur libido serait trop faible par rapport à ce qui est considéré comme "normal" par la société. D'ailleurs, 20% avouent même avoir menti à leurs proches à ce sujet.
Toutefois, une étude réalisée en 2013 par l'Université de Colorado Boulder expliquait que ce qui rend les gens heureux, c'est de penser que la fréquence de leurs rapports est supérieure à celle des autres. Ainsi, plus qu'un chiffre ou un besoin réel de sexe pour garantir l'intimité, ce serait l'approbation de la société qui serait source d'apaisement.
Sexualité bridée vs. sexualité libérée
Incarner sa propre sexualité est un défi pour une femme. Par rapport à celui des hommes, le désir féminin a toujours été minutieusement examiné et contrôlé. Nous partons de loin, mais nous ne sommes pas arrivés non plus!
Dans les milieux plus ou moins conservateurs et religieux, le sexe est encore réservé aux personnes cisgenres et hétérosexuelles après le mariage, tandis que les femmes qui assument une sexualité libérée sont condamnées, humiliées, rejetées par la culture qui loue les prouesses sexuelles des hommes.
La femme, quoi qu'elle fasse, est jugée par sa sexualité. D'une part, il y a la nécessité d'être une "bonne fille" pour être respectable. Enfin, pas trop coincée non plus. D'un autre, il faut être belle et désirable, sexuellement libre et accessible. Mais attention de ne pas être une "salope".
Selon une étude conduite par l'American Association of University Women, le "slut-shaming" est la forme la plus commune de harcèlement sexuel à laquelle les jeunes filles entre 11 et 18 ans font face: une sur quatre en a déjà fait l'expérience à l'école. Celles-ci sont prises comme cibles sur les réseaux sociaux, ridiculisées par rapport à leur apparence, leurs habits, et leur niveau d'activité sexuelle.
Complexes autour de l'apparence corporelle
La perception du sexe féminin à travers les ages a toujours été source de peur et de fantasme. Encore aujourd'hui, le corps nu de la femme est régulièrement censuré sur les réseaux sociaux. Même la vulve de Gustave Courbet réalisée en 1866 n'y est pas la bienvenue!
Alors, comment n'être pas influencées par cette tendance millénaire? De nos jours, la myriade de produits d'hygiène intime nous rappelle constamment que les odeurs et les poils sont à bannir pour être désirables, ou que notre vulve n'est tout simplement pas normale.
Tabous & sexualité des hommes
Qu'en est-il des hommes?
"Il faut assurer"
Tout comme les femmes restent encore souvent cantonnées à l'image de la Madone et de la putain, percevant leur sexualité au travers de l'approbation de la société, beaucoup d'hommes restent dans le cliché du mâle viril. Ainsi, il faut conquérir, pénétrer, tenir longtemps, satisfaire l'autre.
C'est ce que confirme un témoignage tiré de l'émission Regarder les hommes changer sur France Culture:
"On ne m'avait pas dit grand-chose, les récits entre mecs étaient des récits très trash, très virils, très "je l'ai eu cette meuf", un peu tableau de chasse." Sylvain
En ce sens, la taille du pénis joue aussi un rôle crucial dans la validation de la virilité d'un homme dans notre société, bien qu'aucune étude existante ne semble prouver qu'un gros pénis ait un effet quelconque sur la fertilité ou l'orgasme... Au contraire, certaines recherches démontrent que la pression liée à la performance véhiculée dans notre société a un impact négatif sur l'estime de soi et la santé mentale des hommes.
Les dysfonctions sexuelles restent dans le non-dit
Les dysfonctions sexuelles sont bien plus fréquentes qu'on ne le pense! Un adulte sur dix souffre de dysfonction érectile, et 67% des hommes concernés par l'éjaculation précoce ne consultent pas. Pourquoi?
"Même avec des potes qui ont aujourd’hui quarante balais, tu mets toujours huit verres d'alcool et une heure avant de commencer à te libérer et à en parler, c'est pas dicible." Sylvain
Le tabou concernant les dysfonctions sexuelles est intimement lié au mythe de la performance selon laquelle un homme doit simplement assurer.
Dépasser les normes de la masculinité toxique
Mettre à nu la sexualité des hommes, de manière honnête, c'est aussi l'intention de Charles Huteau avec son livre, Pénis de table.
Après s'être rendu compte que les hommes ont énormément de difficulté à parler entre eux, mais qu'en plus, il n'existe pas de ressources pour se renseigner sur la véritable sexualité masculine (et non pas celle obéissant aux normes de la masculinité toxique!), il a réuni six hommes pour mettre en lumière leur rapport à leur pénis, la masturbation, l'orientation sexuelle, l'orgasme, les fantasmes, le mythe de la performance, et plus encore.
Mais cela n'a pas été sans peine: avant de trouver des hommes avec qui parler en toute transparence, il a fait face à de nombreux refus. Beaucoup ont eu peur de se dévoiler sans se cacher derrière une identité.
La valeur d'un homme est souvent réduite à l'apparence physique, l'importance du sport, de l'argent, du nombre de conquêtes. Dans une interview avec Néon, Charles Huteau l'explique ainsi:
« Nous sommes dans une culture compétitive et on a eu une éducation patriarcale dans une société patriarcale. »
La difficulté d'exprimer ses émotions
À travers ce projet, l'auteur Charles Huteau a découvert plus d'une chose.
"Je dirais qu’il n’y a aucun problème à faire parler des hommes sur leur sexualité tant qu’on parle de choses mesurables. (...) On est dans ce carcan de mâle alpha où ce qui compte est la performance, les faits et les chiffres. Là où c’était très très difficile, c’était quand on parlait d’émotions ou de ressenti." Charles
Cela correspond au stéréotype du mec dur qui a marqué des générations d'hommes. Celle-ci relève de la honte d'exprimer d'autres émotions que la colère, associées aux femmes et à la faiblesse.
Une étude de 2013 explique que ce comportement naît à l'adolescence, au moment où certaines activités sont dénigrées comme étant jugées non masculines, par exemple les disciplines artistiques et le théâtre. C'est aussi le moment des premières relations amoureuses, lorsque les garçons apprennent qu'il n'est pas valorisant d'exposer ses sentiments à ses amis. Au contraire.
Désireux de changer les choses, Andrew Reiner, professeur d’écriture et de littérature à la Towson University de Baltimore, a créé un cours intitulé "Les vrais hommes sourient: le visage changeant de la masculinité". Selon lui, les hommes auraient grandement besoin d'éducation sentimentale sans avoir peur d'être jugés.
Les racines de la honte sexuelle
Bien que nous vivions dans une société hypersexuelle, il semble que la honte liée à la sexualité ne soit pas allée bien loin, car elle est psychologique, non pas politique ou religieuse.
D'où vient la honte liée à la sexualité?
Un manque de communication dans la famille: est-ce que la sexualité est discutée dans le contexte familial? Comment les rôles de genre sont-ils enseignés?
Les corps continuent d'être censurés de l'espace public et Internet, renvoyant l'idée d'interdit, mais aussi que le sexe n'est pas un sujet acceptable à aborder.
Un manque d'éducation sexuelle à l'école, dont les programmes sont souvent réduits aux IST, à la grossesse et aux rapports de pénétration vagin/pénis, peu inclusifs des personnes LGBTQIA+, c'est-à-dire non cisgenres et non hétérosexuelles.
Humilier les individus à propos de leur sexualité est un moyen de contrôle. Ainsi, la honte peut aussi survenir après un abus ou harcèlement sexuel.
Les norme traditionnelles: dans de nombreuses communautés, le sexe est acceptable entre un homme et une femme après le mariage, couramment dans le contexte de la procréation. Au contraire, toute autre pratique "non conventionnelle" peut être considérée comme impure.
Un désamour avec soi-même: notre rapport au corps et au sexe est influencé par les sentiments de légitimité, mérite et valeur personnelles. Ce n'est pas pour rien que l'impuissance, le vaginisme, ou encore le manque de désir viennent souvent de soucis d'estime de soi.
Tout cela, et plus encore, impacte notre sexualité et notre perception de celle-ci, nous éloignant toujours un peu plus de l'unique expression de notre propre sexualité.
Guérir de la honte selon Brené Brown
Dans son essai Dépasser la honte, Brené Brown travaille sur comment passer de "que vont penser les gens" à "je suis comme je suis", en expliquant les fondements de ce sentiment universel et la manière dont il se développe.
Les injonctions à être quelqu'un qui ne nous ressemble pas crée la sensation d'être imparfait, indigne d'être aimé et accepté par les autres. Pourtant, nous ressentons tous de la honte et nous avons tous trop peur d'en parler. C'est ainsi qu'elle contrôle nos vies.
Toutefois, il est possible de dépasser la peur de la critique et du rejet. Pour cela, Brown discerne quatre facteurs de la résilience:
Identifier la honte et comprendre comment elle se déclenche
Exercer son sens critique
Se rapprocher et savoir demander de l'aide
Exprimer la honte
Pour elle, dépasser la honte, c'est accepter qui l'on est.
Combien de honte portes-tu sur tes épaules? Te sens-tu désirable? Quel est ton rapport à ton corps?
Pour guérir la honte et la stigmatisation, commençons à parler ouvertement avec nous-même, puis avec les autres. Finalement, nous sommes rarement seuls dans la honte. C'est pourquoi il est important de s'entourer de personnes avec une attitude positive par rapport au sexe ou au moins avec qui pouvoir échanger sans jugement.
Il est aussi libérateur d'en apprendre plus sur la diversité de la sexualité humaine et la santé sexuelle. Ainsi, nous pouvons valider la source de la honte et la manière dont on en a hérité. Pour se sentir bien dans notre sexualité, il s'agit de se sentir bien avec nous-même en honorant nos corps et leurs fonctions.
Mais ne nous leurrons pas: désapprendre les messages négatifs qu'on a appris à associer à la sexualité demande du temps. C'est un projet à long terme pour lequel il ne s'agit pas seulement d'en apprendre plus sur les IST, la grossesse, le clitoris et l'orgasme, mais réellement faire la paix avec son anatomie, le plaisir et le consentement, entre le corps et l'esprit.
Ce travail doit être intergénérationnel, en commençant avec notre propre génération. Apprends à choisir ton plaisir en premier, quelle qu'en soit sa forme ♥
À travers les âges, la sexualité est restée plus ou moins associée au fruit défendu, chargée de tabou et d'émotions négatives, rendant l'expression unique de notre sexualité indicible.