Le néo-Tantrisme occidental
Ce ne sont pas les melons que vous recherchez…
On parle de plus en plus du ‘slow-living’, soit le fait de ralentir notre rythme de vie et nos habitudes quotidiennes (voir aussi de consommation) à une échelle plus humaine. Qu’il s’agisse de nos achats, de notre accès à l’information, de notre vitesse de déplacement, on a de plus en plus l’habitude de tout avoir ‘maintenant’.
Ce rythme, nous l’avons créé de part la technologie qui régit de plus en plus notre façon de vivre et d’interagir avec le monde qui nous entoure, mais aussi en intégrant des notions de productivités à nos vies actives qui sortent du cadre et de l’échelle humaine.
On note dans une étude de l’ObSoCo (l’Observatoire Société et Consommation) de 2016 que presque 80% des gens interrogés dans 6 pays au mode de vie occidental souhaitent ralentir leur rythme de vie.
L’étude avait pour but de mesurer les aspirations de la population et de les inscrire dans une optique de durabilité; et les chiffres sont parlants. On souhaite plus de temps pour profiter de la famille, des amis, plus de temps pour tout simplement aussi arrêter de courir dans tous les sens, se poser et ‘sentir les fleurs’.
On sait que, globalement, nous vivons dans -et participons à- une société de sur-consommation, que nos habitudes de vies sont majoritairement centrées sur le matériel. Dans tout cela, on note que nos vies affectives et notre santé mentale sont tout autant impactées et en payent le plein prix, d’où l’essor majeur ces dernières années du marché Wellness (bien-être), estimé à 4.5 mille milliards de dollars US globalement.
Les retraites de yoga et méditations se multiplient, et là-dedans, on retrouve aussi de plus en plus de personnes cherchant à se reconnecter à leur sexualité par des stages Tantra. Après-tout on consomme ‘globalement’ le sexe de la même manière que du Coca-Cola.
On en parle à tout va dans tous les magazines, les YouTubers sont nombreux à proposer des tutos pour apprendre la méditation Tantra; chez le Green Condom Club, on en a même fait un article pendant le confinement…
Et puis à la rédaction, on s’est arrêté.es pour réfléchir. On a voulu chercher à pousser un peu la réflexion parce que c’est un sujet ultra-populaire, et en même temps incroyablement mal compris!
Le Tantra, c’est quoi?
Essayons tout d’abord d’élucider le mystère car une ‘définition universelle’ est difficile à trouver.
Pourquoi? Une première hypothèse semble apporter une explication tangible: nous tentons de faire passer un concept (mot) Sanskrit dans un concept occidental où il n’a pas d’équivalent. On parle d’une langue qui a vu émerger l’hindouisme et le bouddhisme avec des notions de conscience qui ne sont pas non plus encore à ce jour réellement intégrées aux sociétés occidentales.
Pour illustrer d’un exemple (bien loin de l’Inde et du Sanskrit) on dit que les Inuits distinguent une cinquantaine de termes pour désigner la neige ou la glace.
On peut donc ici imaginer les écarts non seulement de traduction, mais aussi de concept qui se traduisent d’une culture à une autre, et d’autant plus quand il s’agit d’une langue comme le Sanskrit dont laquelle il ne reste plus que 25,000 locuteurs environs la déclarant comme langue maternelle entre l’Inde et le Népal.
Ensuite, il existe plusieurs écoles dans la pratique Tantrique avec des interprétations et enseignements différents.
Mais, Tantra, ça veut dire quoi?
Eh bien! Plusieurs définitions s’offrent à nous, et en faisant une recherche Wikipedia (les dictionnaires basiques ne donnaient pas vraiment beaucoup de contexte) en anglais et en français on n’obtient pas tout à fait les mêmes résultats en terme d’étymologie…
En Anglais, on parle de ‘weave’, ou tissage. Et le concept de Tantra se rapproche à un ‘tissage de traditions et d’enseignements en fils, qui se transforme ainsi en techniques, rites, ou pratiques’. En plus viennent s’y ajouter les concepts de doctrine et de modèle. C’est vague, au mieux.
En Français, on y retrouve la notion de tissage, avec en plus les concepts de ‘libération’ et ‘expansion’. Comme vous voyez, on reste dans le vague, avec de nouveaux concepts.
Sur ce je me suis dirigée vers des sources un peu plus ésotériques.
Quoi de plus naturel que de me pencher sur les bonnes paroles du DalaïLama? Un homme qui, en dehors de sa grande sagesse, invite aussi à l’humour à travers ses contemplations. Dans cet article, il explique le Tantra au sein du bouddhisme tibétain à l’université Suchi-In au Japon. Une fois cet article lu, je suis partie à la recherche des termes nécessaires pour la compréhension du texte, et j’ai donc ouvert la boîte de Pandore... enfin peut-être!
Ce qu’on en retient?
Il y a 4 vérités nobles qui sont à la base des enseignements bouddhistes:
L’existence est souffrance
La connaissance de l’origine de ces souffrances
La possibilité de la cessation de ces souffrances
Le cheminement menant à la fin de la souffrance
Des ces 4 vérités nobles et enseignements sont dérivés 37 facteurs de l’éveil au sein de 8 catégories:
Les 4 fixations de l’attention
L'attention au corps;
L'attention aux sensations;
L'attention à l'esprit impermanent;
L'attention aux formations mentales.
Les 4 persévérances
Faites disparaître ce qui est immoral et déjà produit (les expériences négatives du passé);
Ne laissez pas apparaître ce qui est immoral et non produit (la projection négative du futur);
Faites apparaître ce qui est bienveillant non produit (la projection positive);
Faites accroître ce qui est bienveillant déjà produit (le renforcement positif).
Les 4 pouvoirs miraculeux
La volonté d'avoir des pouvoirs miraculeux (la manifestation);
La persévérance pour atteindre l'objectif;
La fixation de l'esprit (l’esprit posé);
La vision intérieure correcte (l’introspection objective).
Les 5 facultés
Faculté de foi, ou conviction;
Faculté de vigueur;
Faculté d'attention, ou de vigilance;
Faculté de concentration;
Faculté de sagesse.
Les 5 pouvoirs
La foi en l'enseignement du Bouddha;
La persévérance dans la pratique;
La conscience de ce qu'on doit faire;
Le recueillement profond de l'esprit;
La grande sagesse
Les 7 facteurs de l’éveil
La présence d'esprit;
L'investigation et l'analyse des phénomènes et de la Loi ;
La persévérance et l'effort;
La joie éprouvée;
La tranquillité;
La concentration;
L'équanimité (la constance).
Les 8 droits chemins
La vision correcte;
La pensée correcte;
Les paroles correctes;
Les actions correctes;
La profession correcte;
La persévérance correcte;
L'attention correcte;
Le recueillement correct.
Ces 37 facteurs communs aux enseignements bouddhistes du premier cycle de la roue de Dharma ont pu être recensés publiquement, pas les deux derniers.
OK, la roue de Dharma, c’est quoi? Mettez votre casque et accrochez-vous!
Le Dharmachakra (ou la roue de Dharma) est un symbole de foi dans les pays bouddhistes. C’est une roue de chariot possédant huit rayons ou plus, représentant différentes conditions/lois humaines et naturelles.
Les écoles Bouddhistes différentes attribuent un nombre de cycles et rayons différents au Dharmachakra en ce qui concerne les enseignements.
Les écoles du Mahayana et Vajrayana distinguent 3 cycles au Dharmachakra. Le premier cycle est l’enseignement des 4 vérités nobles citées plus haut, le deuxième cycle est l’enseignement de la perfection de la sagesse, et le troisième cycle est l’enseignement de la source de l’éveil, ou Tantra.
On le rappelle, les 4 vérités et ses 37 facteurs de l’éveil constituent le premier cycle de la roue. C’est un cheminement qui mène au statut de disciple, et c’est seulement après avoir assimilé ce premier cycle (les 4 vérité nobles) que les adeptes peuvent suivre les enseignements des deuxième (perfection de la sagesse) et troisième (source de l’éveil et de la nature / Tantra) cycles du Dharmachakra.
Donc à moins de passer par les deux premières étapes de la manière traditionnelle et intentionnée, on atteint tout simplement pas l’enseignement tantrique ancestral.
On se souvient tous (peut-être) de ce moine tibétain retrouvé mort, préservé depuis 200 ans en état de méditation Tukdam. Sa découverte a fasciné l’Occident, tandis que les pays principalement bouddhistes ont considéré l’événement comme l’aboutissement de l’apprentissage spirituel (potentiellement le quatrième et dernier cycle de la roue de Dharma).
Si l’on conçoit et accepte le concept de Tantra comme une ‘réception’ du ‘bonheur du vide’ (félicité-vacuité), on peut aussi concevoir que c’est un des derniers stades de conscience permettant d’accéder au Tudkam (soit un état de méditation post-mortem).
Le Tantra est-il forcément en lien à la sexualité?
Je ne sais pas si vous avez remarqué mais jusqu’à présent on n’a pas encore parlé de sexe.
Croyez-moi, j’ai été tout autant surprise à travers mes recherches sur la toile! Les médias ont tellement insisté sur l’aspect sexuel du Tantra qu’on a voulu le consommer comme le reste de nos vies sur la base du ‘ici-maintenant’; et qu’on a cru pouvoir résoudre nos problèmes de couples en se respirant mutuellement dans la figure pendant des heures, sans prendre le temps de passer par les cases essentielles qui constituent les enseignements bouddhistes; tout en en adoptant les doctrines.
Dans ce cas, où est-ce qu’on a cafouillé entre pratique spirituelle destinée aux initiés des 4 vérités nobles, et pratique sexuelle destinée aux couples qui battent de l’aile?
Le Tantra reconnait et accepte les désirs humains, charnels, et la sexualité en tant que lois universelles. À l’inverse de beaucoup des sociétés occidentales issues de religions monothéistes, le tantra n’attache pas de connotations négatives au sexe. La sexualité étant source de vie, elle est placée au centre, mais n’est pas le point focal de la pratique. Si, si, ça fait du sens!
Le Tantra reconnait, accepte, et accueille la multi-dimensionnalité humaine: les pôles différents, les émotions différentes, et invite à unifier les discordes potentielles à travers des rites, pratiques, et techniques ancestrales, principalement à l’intérieur de soi.
Ce n’est donc pas un enseignement qui vise la sexualité en particulier, mais une doctrine qui l’inclue en tant que composante intégrale du genre humain.
Et là, l’Occident s’est rué sur les possibilités marchandes des maux universels pour potentiellement tirer profit!
Néo-Tantra et appropriation culturelle
Je ne sais pas si vous avez eu l’occasion de regarder l’épisode [UN]well sur Netflix dédié au Tantra.
Si vous ne l’avez pas encore vu, prenez le temps. C’est important.
L’épisode au complet (comme la plupart des épisodes de la série d’ailleurs) m’a mis mal-à-l’aise. Et c’est une bonne chose. Ça fait réfléchir.
Le débat récent sur la scène culturelle entre l’appropriation et l’appréciation ne cesse de faire des vagues et, afin de faire justice à l’objectivité requise, il est important de pouvoir se remettre en question.
Cet article, par exemple, a pris des semaines à écrire. Parce qu’une fois que la volonté de vraiment apporter des informations justes et éclairées s’est manifestée, j’ai essuyé les rejets de différentes institutions offrant des stages Tantra pour une interview.
Ensuite il a fallu entrer dans le processus de compréhension (basique) de ce que veut dire Tantra, au sein de l’enseignement buddhiste/hinduiste - et ce n’est pas mince affaire.
Il en ressort qu’à moins de suivre un enseignement traditionnel sur des années, il n’existe pas de raccourcis vers l’extase que proposent beaucoup trop d’institutions tantriques occidentales.
Le Tantra est partie intégrante des cultures bouddhiste et hindouiste. Ce n’est pas en quelques jours de stage que le poids millénaire de ces cultures peut être conçu, compris, enseigné, et appliqué.
Le néo-Tantra met l’accent sur l’aspect sexuel du Tantra aux dépens des enseignements qui le précèdent. C’est un peu comme un stage pour conduire une voiture manuelle sans passer par le code de la route...et ensuite partir en road-trip!
Bon nombre d’abus ont également été recensés. Le Tantra (dans son enseignement et dans les stages) n’implique en aucun cas des attouchements ou des pratiques sexuelles. Et pourtant on retrouve un nombre d’abus alarmant.
Le Tantra est aussi enseigné différemment dans différentes écoles. Il est donc vital de bien se renseigner pour trouver des passerelles authentiques vers le Tantra. Ce n’est pas une pratique pour novices qui peut être enseignée par des occidentaux ayant suivi des ‘formations informelles’. C’est une pratique pour les initiés qui ont déjà fait un gros cheminement vers l’éveil sur la roue de Dharma.
C’est un travail de psychanalyse en quelque sorte. Si nous cherchons l’éveil, nous devons faire le travail qui y mène. Il n’existe pas de raccourcis et le chemin est en réalité la clé pour y accéder.
La morale de cette histoire est de traiter le Tantra avec le respect qu’il mérite, et de faire le travail nécessaire à l’éveil spirituel, avec le temps, et en suivant les étapes.
Si des initiés nous lisent, et remarquent des erreurs d’interprétation, SVP mettez vos commentaires ou contacter nous directement pour que nous puissions corriger. ♥
À travers les âges, la sexualité est restée plus ou moins associée au fruit défendu, chargée de tabou et d'émotions négatives, rendant l'expression unique de notre sexualité indicible.